(1-4-5-8-9) Centre de Transit et d'Orientation pour jeunes garçons sortis des groupes armés, géré par le BVES à Bukavu, Sud-Kivu. – (2) Murhabazi "Mouna" Namegabe est à la tête du Bureau pour le Volontariat au Service de l'enfance et de la Santé (BVES) qu’il a fondé il y a plus de 25 ans à Bukavu, Sud-Kivu. – (3) Joelle et son bébé conçu pendant son séjour forcé au sein d'un groupe armé, au Centre de Transit et d'Orientation pour jeunes filles géré par le BVES à Bukavu, Sud-Kivu. - (6) Animations parascolaires au Centre de Transit et d'Orientation pour jeunes garçons sortis des groupes armés, géré par le BVES à Bukavu, Sud-Kivu. - (7) Centre de Transit et d'Orientation pour jeunes filles sorties des groupes armés, géré par le BVES à Bukavu, Sud-Kivu. - (10) Un ex enfant-soldat sorti des groupes armés par le BVES, vient d'être réintégré dans sa famille en périphérie de Bukavu, Sud-Kivu.
© Caroline Thirion
Chapitre 3
Enfants de la guerre
jusqu’à aujourd’hui

Selon les Nations unies, entre 30.000 et 40.000 enfants-soldats seraient actifs actuellement en République démocratique du Congo. Une des plus fortes concentrations au monde. Tous ne portent pas les armes. Selon la définition proposée par l’Unicef, toute personne de moins de 18 ans qui a été recrutée par une force ou un groupe armé, quelle que soit la fonction qu’elle occupe, est considérée comme un enfant-soldat.

« Laurent-Désiré Kabila a demandé à la population d'amener les enfants, pour qu’ils constituent une nouvelle armée. (…). Il a promis à chacun 100 $ de prime. Ce jour-là, des camions se sont remplis d'enfants et d'adultes et les camions sont partis pour la formation militaire. C'était affligeant », se souvient Murhabazi « Mouna » Namegabe, qui était présent lorsque l’Alliance des Forces Démocratiques pour la Libération du Congo-Zaïre (AFDL) a pris la ville de Bukavu, en octobre 1996.

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(1-2-3-4) Meetings de Laurent-Désiré Kabila à Bukavu et à Kisangani fin 1996 et début 1997, lors desquels il fut demandé à la population d'amener les enfants, pour constituer l’armée de l’AFDL.
(5-6-7-8) Entrée des soldats de l’AFDL de Laurent-Désiré Kabila à Kinshasa, les 17 et 18 mai 1997, consécutive à la fuite et exil du Maréchal Mobutu.
© Belga/AFP

« Tout le monde en avait marre de la dictature de Mobutu, y compris la communauté internationale, qui a fermé les yeux. Mais pour moi, comme défenseur des droits humains, je ne pouvais que me sentir mal à la vue de tous ces enfants, de 8 à 17 ans, qui abandonnaient l'école, leur quartier, leur famille, pour se faire enrôler comme soldats, dit-il. Nous avons publié un communiqué pour dénoncer cette situation. Et on m’a accusé d’être antirévolutionnaire ». A la tête du Bureau pour le Volontariat au Service de l'enfance et de la Santé (BVES) qu’il a fondé, Murhabazi Namegabe ne s’épanche pas sur les menaces qu’il a reçues, ni sur l’emprisonnement qu’il a subi, à l’époque. Il continue de consacrer toute son énergie à la lutte contre le recrutement d’enfants-soldats par les groupes armés. Un phénomène qui reste d’actualité en RDC, 25 ans après la première guerre du Congo, lors de laquelle une première génération de jeunes Congolais a pris les armes, à l’appel de l’AFDL.

Archives du journal télévisé de la Radio-télévision belge (RTBF) du 25 août 1998 sur la présence de "kadogos" (enfants-soldats) dans l'armée congolaise. Des mères se sont regroupées en association pour protester et tenter de retrouver leurs enfants.
© Archives RTBF / Sonuma

Après la prise du pouvoir par Laurent-Désiré Kabila, lorsque l’AFDL est transformée en armée gouvernementale, bon nombre de ces « kadogos » sont intégrés dans les nouvelles Forces armées congolaises (FARDC).

Mais les Nations unies, des pays partenaires occidentaux, et la société civile congolaise font alors pression sur le chef rebelle devenu chef de l’Etat pour qu’un programme de démobilisation des enfants-soldats soit rapidement mis en place.


Le 9 juin 2000, Laurent-Désiré Kabila publie un décret qui annonce l’intention du gouvernement de démobiliser les « groupes vulnérables », dont les mineurs, présents dans l’armée congolaise.

Début 2001, un programme commun au gouvernement et à l’Unicef se met en place pour la reconversion des enfants-soldats, avec la création du Bureau national de démobilisation et de réinsertion sociale (Bunader). Répertorier et identifier les enfants qui se sont éparpillés en ville où se trouvent dans des casernes militaires, est souvent difficile. Beaucoup passent sous le radar.

Les quelques centaines qui sont officiellement démobilisés reprennent le chemin de l’école, ou sont formés à un métier manuel. Mais le pays est alors à nouveau en guerre, et divisé, rendant presque impossible un retour dans leurs familles pour ceux qui sont originaires des provinces orientales.

Evelyne Mbata Kalonji, ancienne coordinatrice du Groupe d’Action pour la Démobilisation et la Réinsertion des Enfants-Soldats (GADERES), un réseau créé en 1999, regroupant plus de 50 ONG et organisations religieuses.
© Caroline Thirion

Pendant la deuxième guerre du Congo (1998-2003), beaucoup d’anciens kadogos rejoignent les rangs des rebelles du Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD), portés par le Rwanda.

Par ailleurs, des milices d’autodéfense « Maï-Maï » - le terme fait référence à la révolte Maji Maji (« eau » dans les langues bantoues de la région), en 1905-1907 au Tanganyika, dont les combattants se disaient protégés par les propriétés magiques de l’eau - se constituent pour résister aux forces armées du Rwanda et aux groupes rebelles congolais qu’elles appuient. D’autres les imitent dans un but de brigandage et de pillage des ressources. Pour des jeunes sans opportunités, la promesse d’un butin de guerre est attirante.


Tous ces groupes armés ont recours aux enfants-soldats, qui constituent parfois plus de la moitié de leurs effectifs.

Mai Mai
Un enfant soldat recruté par les groupes rebelles Mai-Mai dans les
Masisi, au nord-ouest de Goma, en décembre 1996.
© Belga/AFP

En 2002, la signature de l’accord de paix de Sun City entre les parties belligérantes a initié un processus d’intégration des anciens combattants à l’armée nationale congolaise. En même temps, un mécanisme de désarmement, démobilisation et réintégration (DDR) a été lancé, avec des mesures spécifiques destinées aux enfants-soldats. Aujourd’hui, l’enrôlement d’enfants dans les forces et groupes armés est clairement interdit par la législation congolaise ainsi que par les traités internationaux ratifiés par la RDC.

Mais plus d’une centaine de groupes armés sont toujours actifs à l’est du pays. Ils continuent de recruter des mineurs pour renforcer leurs rangs. Des milliers d’enfants-soldats en ont déjà été sortis grâce à l’action de diverses ONG et des Nations unies. Mais des milliers d’autres y sont encore.

Murhabazi Namegabe du Bureau pour le Volontariat au Service de l'enfance et de la Santé (BVES) regrette que l’enrôlement d’enfants-soldats par l’AFDL en 1996-97 au Congo-Zaïre ait créé un précédent qui perdure jusqu’à aujourd’hui au sein des groupes armés actuels actifs en RDC.

Le BVES gère un programme d’accompagnement psychosocial et de réinsertion à Bukavu, dans la province du Sud-Kivu. Avec son équipe, Murhabazi Namegabe négocie avec les chefs des groupes armés pour obtenir la libération des enfants. Les tractations sont souvent tendues. « Nous travaillons en collaboration avec la Mission de l'ONU pour la stabilisation du Congo. Nous rencontrons directement les seigneurs de guerre, et nous sensibilisons des personnes influentes, les leaders communautaires, parfois proches de ces groupes armés, pour leur faire comprendre que l’utilisation des enfants dans la guerre n’est pas une solution. Parce que c’est une génération qui va périr, explique-t-il. Quand certains ne sont pas à l’écoute, nous avançons aussi l’argument de la fin de l’impunité, et faisons comprendre aux chefs des groupes armés qu’ils pourraient avoir à répondre de leurs actes devant la justice internationale, lorsqu’ils sortiront de la forêt ».


Selon le Statut de Rome de la Cour Pénale Internationale (CPI), le fait d'utiliser des enfants de moins de quinze ans et de les faire participer activement à des hostilités constitue un crime de guerre.

En 2019, l’ancien chef de guerre congolais Bosco Ntaganda a été condamné à 30 ans de prison par la CPI (une condamnation confirmée en appel en 2021), pour des crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis en Ituri (nord-est de la RDC) entre juillet 2002 et décembre 2003. Il a notamment été reconnu coupable du recrutement massif d’enfants-soldats auxquels il a fourni de la drogue et de l’alcool avant de les envoyer au combat.

Fiston*, ex enfant-soldat sorti d'un groupe armé par le BVES, à Bukavu, Sud-Kivu.
© Caroline Thirion

Fiston* avait à peine 14 ans quand il a été enrôlé par une milice Maï-Maï. « Ce jour-là, ils ont attaqué notre village, ils ont pillé, et mon oncle a été tué, raconte-t-il. Puis ils m'ont emmené de force ». L’adolescent passera un an à parcourir la forêt, rançonner la population, et se battre contre les forces armées gouvernementales et d’autres groupes rebelles. « Au début, j'avais peur, je pensais beaucoup à ma famille, dit-il. Mais ils m’ont donné une arme et m’ont montré comment la manier. Ils m’ont aussi fait prendre des « médicaments traditionnels » pour me donner de la force. J’ai été transformé. Avec ces fétiches dans la tête, je pouvais tirer et tuer sans contrôle ».

Les enfants démobilisés passent six mois dans un centre du BVES, où ils bénéficient d’un accompagnement psychosocial. Le mélange est parfois explosif, alors que des ennemis la veille, se retrouvent sous le même toit. Certains retournent à l’école, d’autres apprennent un métier.

De nombreuses jeunes filles sont aussi recrutées par les groupes armés. Elles sont utilisées pour faire la cuisine, transporter du matériel, et comme esclaves sexuelles.

« Des bandits FDLR ont découpé mon père à la machette. Je voulais me venger », dit Joëlle, 17 ans, qui a rejoint un groupe Maï-Maï 5 ans auparavant. Elle est désormais hébergée dans le centre du BVES réservé aux filles et à leurs enfants, à Bukavu.

« Nous étions presque tous des enfants, seuls nos commandants étaient plus âgés. Quand on tuait une personne, on prenait son sang, et on le buvait. Alors, la peur prenait fin », raconte-t-elle, en essuyant une larme au coin de son œil. La jeune fille combat avec plusieurs groupes rebelles. Aujourd’hui, elle est mère d’un petite fille de 4 mois. « Quand tu arrives là-bas, on choisit un chef qui sera ton mari. Il couche avec toi quand il le veut, dit-elle. Si tu dis que tu es enceinte, on te frappe jusqu'à ce que tu avortes. Je me suis enfuie car j'avais déjà trop souffert ».

« Les effets de la guerre sur les enfants sont difficiles à effacer, dit Murhabazi Namegabe. Cela leur reste gravé dans la tête, ils font des cauchemars. Certains sont dépendants aux drogues qu’on leur a données pour les rendre plus sauvages, moins conscients ».

La réintégration de ces enfants et jeunes adultes au sein de leur communauté est souvent complexe. Lorsqu’ils sont originaires de zones où des groupes armés restent actifs, le risque d’un nouveau recrutement est élevé. Par ailleurs, leurs familles, déjà appauvries par 25 ans de guerre, peuvent être réticentes au retour de ces adolescents qui ont porté les armes.

« Il y a des enfants qui ont pillé dans leur propre village, qui ont tiré sur ceux qui résistaient. Cela a eu un impact psychologique important, dit le directeur du BVES. Il y a aussi des filles qui reviennent avec des bébés. Certains pensent que ces enfants portent la folie de leur père ».

Les enfants démobilisés passent six mois dans un centre du BVES, où ils bénéficient d’un accompagnement psychosocial. Le mélange est parfois explosif, alors que des ennemis la veille se retrouvent sous le même toit… Certains retournent à l’école, d’autres apprennent un métier.
© Caroline Thirion


Il faut aussi soigner les communautés. Il faut les sensibiliser pour qu’elles acceptent de les accueillir. Et ça, c'est un travail immense.

La guerre tourne en boucle dans l’est du Congo. Bon nombre des conflits aujourd’hui sont un héritage de ceux survenus à la fin des années 90 et 2000.

« Dans d’autres pays, lorsque la paix est revenue, les dirigeants se sont attelés au développement de leur pays. Mais au Congo, cela fait 25 ans que je vois la même chose, déplore Murhabazi Namegabe».


Mon bureau est toujours décoré d’affiches dénonçant les crimes contre les enfants et contre les populations civiles. Quand est-ce que cela prendra fin ?

Le Bureau pour le Volontariat au Service de l'enfance et de la Santé (BVES), ONG de droit congolais active depuis plus de 25 ans à Bukavu, se consacre à la lutte contre le recrutement d’enfants-soldats par les groupes armés. Un phénomène qui reste d’actualité en RDC, 25 ans après la première guerre du Congo.
© Caroline Thirion

Depuis fin mars 2022, d’intenses combats ont lieu au Nord-Kivu, près des frontières ougandaise et burundaise, entre les Forces armées congolaises (FARDC) et les rebelles du M23.

Alors que l’armée peine à contenir leur avancée, que les renforts tardent à arriver, certains commandants prennent des initiatives sur la ligne de front en vue d’obtenir un soutien. « Les FARDC nous ont donné des AK-47. Mais ils nous ont dit qu'il faudrait les rendre quand le M23 serait repoussé », raconte un jeune homme de 17 ans membre d'une milice d'autodéfense Maï-Maï. Deux de ses frères et plusieurs de ses amis se battent à ses côtés contre le M23 « pour défendre (leur) territoire » et « protéger la communauté ».

Les autorités congolaises accusent le Rwanda de soutenir le M23, ce que Kigali dément.


Des groupes armés qui étaient ennemis ont maintenant uni leurs forces
pour arrêter « l'envahisseur ». Et l’enrôlement d’enfants-soldats a repris de plus belle.

« Ils recrutent au sein des communautés locales. Les parents ferment les yeux, certains incitent même leurs fils à les rejoindre », dit Jacques Mbusa Buligho, coordonnateur de l'organisation UPDECO, qui lutte contre le recrutement et l'utilisation d'enfants-soldats. Il estime que les rangs de certains groupes armés sont composés à plus de 50% de mineurs. « Cela va créer de nombreux problèmes. Ces mêmes enfants seront blâmés et rejetés par leur communauté quand ils retourneront leurs armes contre elle et commenceront à piller ». L’histoire se répète inlassablement.

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Un enfant salue le passage des troupes de l’AFDL de Laurent-Désiré Kabila, composées de nombreux kadogos (enfants-soldats), lors de leur entrée triomphale à Kinshasa le 18 mai 1997.
© Belga/AFP